Vous vous souvenez de Roxanne Simon, la généalogiste de Vic-le-Fesq et mon travail sur son identité visuelle ? J’avais créé en plus du logo et supports de communication habituels des arbres généalogiques à l’aquarelle pour qu’elle puisse les remplir et livrer à ses clients de beaux arbres comme des objets de décoration hors du commun.
Il y a quelques temps de ça, Roxanne m’a rappelée pour un autre projet…
Bon, elle m’a appelée au secours en fait 🙂
Un projet qui nous dépasse
Les affaires de Roxanne marchent bien, ses clients sont enchantés de ses livres et arbres généalogiques, autant la version classique que la version pour enfant. Et j’avoue en tirer une certaine fierté d’autant que c’est moi qui les ai créés.
Tout roule jusqu’au jour où Roxanne rencontre Aude.
Aude est une native des Cévennes, issue d’une grande famille de Protestants, exploitants d’une châtaignieraie, qui se transmettent le mas familial de génération en génération depuis près de 500 ans.
Oui, 500 ans !
Aude est passionnée par l’histoire de ses ancêtres et se rend compte au fil de ses nombreuses années de recherches que l’un deux a eu un destin extraordinaire pendant la guerre des camisards. Fascinée et désireuse de partager ses connaissances avec toute sa famille et ses amis, elle décide de faire appel à Roxanne pour valoriser le fruit du travail de toute une vie. Et c’est là que le défi commence.
Roxanne se voit alors commander un livre de famille au contenu déjà rédigé mais qu’il faut mettre en page au propre, mais également un arbre généalogique exhaustif comprenant toutes les fratries sur 13 générations. Le problème c’est que l’olivier de Roxanne n’est conçu (à sa demande initiale) que pour les généalogies directes, c’est-à-dire sans fratries, et sur 9 générations. Ah, j’oubliais ! Dans l’idéal, Aude voudrait un châtaignier et non un olivier pour faire honneur à ses ancêtres qui vivaient de la châtaigne.
Roxanne ne sait pas comment intégrer les fratries et ajouter des branches tout en gardant l’harmonie visuelle, et face à ce tsunami qu’est la demande d’Aude elle ne voit pas d’autre solution que de m’appeler à la rescousse.
Et là… J’étais vraiment contente de travailler à nouveau pour Roxanne, mais… Comment dire ? Pour être tout à fait honnête je me suis réellement demandé comment j’allais faire mon compte !
– Et comment tu comptes t’y prendre ? Me demande mon chéri Nicolas pendant le dîner le soir même.
–Aucune idée, je réponds je regard dans le vague. Mais ça va être trop chouette ! J’ai hâte de commencer ! Je rajoute toute enjouée en tapant dans mes mains.
Oui je suis une personne très enthousiaste 🙂
–Tu vas trouver, alors. Comme toujours. Conclut Nicolas avec un sourire.
Oui, enfin, là c’est quand-même un sacré morceau.
La peinture
C’est la partie facile du projet. Ça tombe bien, c’est ce par quoi il faut commencer. Ça met en confiance de démarrer avec la simplicité 🙂
Je commence à peindre un premier jet dans un carnet format A5, juste pour trouver la bonne teinte des feuilles. Je ne manque pas de noter les mélanges de couleurs afin de retrouver facilement ma teinte une fois que je travaillerai sur la peinture que je montrerais à Roxanne. Cette dernière souhaite un thème automnal pour rappeler sa saison préférée. En plus l’automne c’est la saison des châtaignes.
Compte tenu du format final en A0, soit 84,1 x 118,9 cm, j’ai décidé de peindre sur les plus grandes feuilles que j’avais sous la main. Un papier aquarelle 100% coton grain satiné en 30,5 x 45,5 cm. C’est un papier de qualité professionnelle qui a la particularité de rendre les couleurs avec une grande fidélité et ne gondole presque pas.
Pour te procurer le même papier que moi tu peux le commander en cliquant ici.
Même si c’est beaucoup plus petit que la taille finale, je savais que ça suffirait puisque l’arbre et les branches sont peints sur des feuilles à part. L’arbre prend alors toute la feuille. C’est ce qui me permettra d’avoir le plus grand nombre de détails. De plus, avec mon scanner pouvant numériser à 1200 DPI je pourrait adapter mon visuel si d’aventure le format venait à changer en cours de projet.
J’ai passé une journée entière à peindre un premier modèle d’arbre, puis une autre journée pour le second.
Deux modèles pour comparer le meilleur rendu
Puis quelques heures supplémentaires pour les branches peintes sur une planche à part, toujours dans l’idée de garder le plus de détails possible lors de la numérisation.
Branches de chataîgnier
Enfin, mes planches étaient prêtes. Une fois que Roxanne et moi nous sommes mises d’accord sur l’arbre utilisé j’ai pu scanner l’arbre et les branches, j’ai ensuite détouré pour tout avoir sur un fond transparent, retouché quelques petits défauts inélégants.
J’intègre ensuite l’arbre et les branches sur mon logiciel Adobe Illustrator juste pour commencer à organiser mon environnement de travail.
Mais ça se complique
Tout se complique quand je reçois la généalogie d’Aude. Entre l’écriture que j’ai du mal à déchiffrer et les branches que je n’arrive pas à localiser c’est une chose, mais le plus gros problème réside dans le fait que je ne peux pas faire toutes les cases de la même taille.
–T’as qu’à prendre l’angle d’une extrémité à l’autre et le diviser par le nombre de personnes à mettre dans les branches. Me suggère Nicolas.
–Mais ça ne correspondra pas.
En effet, certains ancêtres ont eu beaucoup de descendants et d’autres peu voire pas du tout. Par conséquent certains enfants ne se retrouvent pas en face de leurs parents, ce qui complique la lecture de l’arbre.
La seule solution est de calculer l’angle de chaque branche en fonction du nombre de personne qui s’y trouve et de recommencer à chaque génération. Ça en fait du calcul !
Et après une autre journée de travail j’ai pu présenter le squelette de l’arbre à Aude
Je présente un squelette pour des raisons de gain de temps. Il est plus facile de dégrossir avec des traits qu’avec les branches car en plus d’augmenter considérablement le poids du fichier, il me faut me concentrer pour créer un ensemble harmonieux. A cette étape-là je veux surtout que la cliente relise les informations afin de s’assurer de l’exactitude du contenu. La décoration viendra une fois les données vérifiées.
Aude me corrige deux ou trois erreurs de lecture et me donne la validation pour continuer à travailler.
Allô Huston ? On a un problème…
Le problème, c’est que le logiciel Adobe Illustrator n’est pas conçu pour supporter des fichiers aussi volumineux. J’entends par là en gigaoctets et pas en cm.
En effet alors que je commence à placer des branches, j’enregistre mon travail et constate que la sauvegarde est partie pour prendre quelques minutes. Qu’à cela ne tienne, je vais en profiter pour faire une petite pause et me faire un thé. Lorsque je reviens, la barre de chargement n’avait toujours pas bougé.
Il a fallu laisser l’ordinateur tourner près de 4 heures pour faire un simple enregistrement !
– C’est pas possible ! A ce rythme-là j’aurais toujours pas fini à la fin du mois ! Faut que je trouve une autre solution.
Finalement je bascule tout mon travail sur un logiciel spécialement conçu pour les fichiers volumineux : Adobe InDesign.
Je n’avais pas anticipé le poids de ce fichier car je me suis laissée piégée par le modèle olivier en généalogie directe qui était bien plus petit en taille et donc plus léger car moins de branches à incorporer. Mais j’ai bien appris la leçon 😉
« Je voudrais rajouter juste deux ou trois petites choses, ça ne vous prendra pas longtemps ? »
Il faut savoir que nous, les graphistes, quand on entend ça on a des palpitations. Faut pas nous dire ça, vraiment, c’est pas bon pour notre santé et nos petits cœurs fragiles.
–Bonjours Kimberley, j’espère que je ne vous dérange pas.
Rythme cardiaque : 87 battements/minute
–Mais non Aude, que puis-je faire pour vous ?
–Voilà, je me demandais si c’était possible… Oh j’espère que ça ne va pas vous déranger.
Rythme cardiaque à 127 battements/minutes
–Dites-moi. (mais qu’est-ce que je fais ???)
–J’ai fait encore des recherches avec ma sœur et on a retrouvé des cousins éloignés…
–Oui… ?
Rythme cardiaque à 152 battement/minutes, ça s’emballe !
–Je me demandais s’il était possible de les rajouter ?
–Où se situent-ils dans votre famille ? Est-ce qu’ils sont de votre génération ou sont-ils antérieurs ?
Rythme cardiaque à 193 !
–Oh non ! Ce sont des personnes de la même génération que moi, il suffit de les rajouter dans les cases vides à droite.
PFFFIIIOUUUU !
Le rythme redescend, 168… 142… 91… 72, c’est bon. Rythme normal.
–Pas de problème Aude, envoyez-moi les informations par mail et je m’en charge.
–Et n’oubliez pas de me facturer le surplus du coup.
Ah ! Bah finalement ça se passe pas si mal !
Quelques heures plus tard…
–Euh… ma chérie ? Tout va bien ?
BIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIP
Finalement, il a fallu un peu plus qu’un simple ajout de 5 ou 6 cousins… Il a fallu ajouter près de 50 cousins sur 3 générations ! Tous mes calculs étaient faux, il a fallu tout recommencer. ENTIEREMENT.
Après une PLS, quelques gestes de premiers secours, 18 décharges au défibrillateur, 4 bouteilles de Rescue, 57 mouchoirs et une nuit de sommeil, me revoilà fin prête à en découdre avec cette famille.
Donc rebelote pour recalculer mes angles, refaire mon squelette et renvoyer en relecture. Mais cette fois avec le bon logiciel ça va plus vite… Bon, 2 journées de boulot quand même.
Noyer mon chagrin dans l’alcool m’était interdit étant donné que j’allaitais encore mon fils. Mais ça m’aurait peut-être fait du bien.
Mais tout est bien qui finit bien
Zoom sur un projet XXL
Après une dernière relecture, la validation et une refonte de la couverture du livre de famille, il est grand temps de livrer Aude.
Et c’est avec beaucoup d’émotion qu’elle a découvert l’accomplissement de toute une vie de recherche, mis en valeur par mes pinceaux et la mise en page de Roxanne. C’était bien plus qu’une toile imprimée, c’était 5 siècles d’histoire qui nous contemplaient. Une famille entière réunie sous nos yeux par de simples noms et dates écrits sur ce grand morceau de papier.
A droite Roxanne, à gauche votre graphiste
Malgré les aventures rocambolesques de ce projet, je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir une tendre pensée pour toutes ces personnes dont j’ai placé les noms sur cet arbre. Comment vivaient-ils ? A quoi ressemblaient-ils ? Avaient-ils des rêves ? Comment vivaient-ils la guerre qui les a touchés ? Ont-ils déjà imaginé que leur descendante leur rendrait un tel hommage ? Ont-ils un jour pensé que grâce au travail acharné d’une jeune femme, née près de 500 ans plus tard, ils ne tomberaient jamais dans l’oubli ?
Et je me souviens de ce proverbe malgache qui dit « les morts ne sont morts que quand on les oublie »